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Patricia Cottron-Daubigné écrit des poèmes dits de circonstance : ainsi un recueil, Croquis-Démolition (éditions de la Différence, 2011), suite de proses poétiques sur la liquidation et la délocalisation d’une usine de roule­ments à billes (SKF) à Fontenay-le-Comte (Vendée), où son compagnon travaillait...

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Patricia Cottron-Daubigné écrit des poèmes dits de circonstance : ainsi un recueil, Croquis-Démolition (éditions de la Différence, 2011), suite de proses poétiques sur la liquidation et la délocalisation d’une usine de roule­ments à billes (SKF) à Fontenay-le-Comte (Vendée), où son compagnon travaillait. Ainsi un nouveau recueil, Ceux du lointain, (L’Amourier éditions, 2017) consacré à l’exil et aux migrants. Dans cette dernière œuvre, elle ne se contente pas de relater l’actualité, elle la défait, selon ses mots, du factuel, du sensationnel, des « discours comptables et coupables », en adossant les migrants d’aujourd’hui à leurs frères mythiques et éternels de l’Énéide (poème épique de Virgile écrit entre – 29 et – 19, la même histoire à ses yeux de guerre et d’exil). Elle tisse ses vers avec ceux de l’Énéide, qu’elle n’hésite pas à traduire à nouveau. « C’est chez Virgile, écrit-elle, que je lis ce que je cherche dans mes mots depuis des mois. Je lis, je regarde, je cherche, je pleure, j’ai honte/j’écris. »
Virgile n’est pas le seul poète dans les pas duquel marche Patricia Cottron-Daubigné. Elle désigne parfois explicitement ses références, ceux, celles, qui ont nourri ses textes (comme Marguerite Duras, par exemple).
Elle écrit aussi des textes d’une veine plus intime : poèmes dédiés à son père ouvrier (Journal du houx vert et de la bruyère, éditions Gros textes, 2005), poèmes d’amour dans lesquels on lit encore la présence insistante, précise, du corps.
Elle a publié dans de nombreuses revues. Née en Charente-Maritime, où elle a passé toute sa jeunesse, elle est professeure de latin et grec, et vit dans le marais poitevin.
Katherine L. Battaiellie

 

on te voyait
porte grande ouverte il fallait respirer
quand on allait le soir nuit tombée chercher
le poisson que pas cher on vendait à l’usine
c’était bien du bon poisson pour l’ouvrier et
sa famille
pas trop cher
papa tout noir on te voyait
gagner ta mort

Journal du houx vert et de la bruyère

ma mère repose dans le sol
de Syrie mon père repose
dans le sol de Macédoine
mon épouse erre
dans les eaux de toutes les mers
je n’ai plus de pays
je suis du monde de la douleur

au sortir de ce désastre, portés sur tant de vastes mers, nous demandons pour les dieux de nos pères
une modeste demeure, un rivage paisible, et pour tous l’air et l’eau qui sont à disposition

je suis de partout désormais et mon fils aussi
ce ne sont pas les dieux
qui nous poussent sur vos terres
les dieux sont des récits
on les prie
quand les mains des hommes
se ferment

je ne viens rien conquérir
je viens vivre

J’arrive, je vois, je ne baisse pas les yeux, je serre
mon cœur au-dedans, je regarde ce qui est chez
nous, l’impensable, face,

bidonville

baraquements et encore écrouler le mot le désosser
le dénuder le laisser à son délabrement de planches
qui craquent qui claquent au vent

de bâches trouées de tôles de plaques mal tenues
de pneus qui feront poids avec l’amiante en fragments partout

baraquements

ouvrir le mot au vent au froid à la boue
comment gèle-t-il chez vous tous ces jours les rats
ont mangé le bas de la porte.

Ceux du lointain

Rouge même aéré
avec les promesses tenues
dans le rire
et la salive
le rouge est encore le rouge
la gorge suffoque
se renverse
elle
dans le regard

Visage roman

Cause commune n° 6 - juillet/août 2018