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Mars est la planète habitée par les robots. Ils l’explorent, l’analysent, prennent de belles photos de sa surface rouillée. Mars est un beau sujet de recherche pour comprendre comment une planète si semblable à la nôtre est, finalement, si différente. Dans En avant Mars !, Nicolas Beck, Sylvain Breton et Jessica Flahaut (EDP sciences, 2022) partagent cette folle histoire de l’exploration de Mars.

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Mars_Valles_Marineris.jpeg: NASA picture. Derivative work: Lošmi (talk)

CC : Quel avenir pour le véhicule martien européen Rosalind Franklin qui n’a pas pu partir sur Mars en raison du déclenchement de la guerre en Ukraine ?

La situation politique oblige l’Europe à trouver un autre lanceur et à développer sa propre plateforme d’atterrissage, qui était à l’origine fournie par les Russes. Des adaptations qui vont demander un peu de temps, et donc ça sera un lancement pour 2028 ou 2030 au plus tôt, probablement en collaboration avec la NASA. En attendant, le robot reste confiné en salle blanche, et certains de ses composants vieillissants devront être remplacés.

CC : Qui était Rosalind Franklin ?

Cette scientifique britannique née en 1920 a été une véritable pionnière dans le domaine de la biologie moléculaire ; elle est par exemple à l’origine de la découverte de la structure de l’ADN. C’est donc tout naturellement qu’on a donné son nom à cette future mission européenne partant à la recherche de traces de vie !

CC : Quelles sont les grandes périodes de l’histoire de Mars ? à quelle époque trouvait-on de l’eau en surface ?

L’histoire géologique de Mars est découpée en trois grandes ères (une échelle chronostratigraphique un peu plus simple que sur Terre) : le Noachien, de 4,5 à 3,7 milliards d’années, l’Hespérien, de 3,7 à 3,0 milliards d’années, et l’Amazonien, de 3,0 milliards d’années à aujourd’hui. Même si l’Amazonien est la période la plus longue, c’est le Noachien, l’ère la plus ancienne, qui est la plus intéressante pour sa diversité géologique. On sait qu’à cette époque il y avait de l’eau liquide à la surface de la planète, sous forme de rivières, de lacs et peut-être même d’un océan. Les conditions de surface étaient très différentes, avec un champ magnétique actif, un climat plus clément, et cette période aurait pu être propice à l’apparition de la vie sur Mars. Rappelons-le, les plus anciennes biosignatures terrestres connues remontent à 3,8 milliards d’années, au même moment où l’eau coulait encore sur Mars.

« Entre les ingénieurs, chercheurs, techniciens et administratifs des agences spatiales et tous les sous-traitants, le secteur spatial représente un pan important de l’activité économique. »


CC : Au début des années 1970, la sonde américaine Mariner 9 a découvert, depuis l’orbite martienne, ce qui ressemblait à des lits de rivière asséchés. Il y a longtemps eu une controverse pour savoir si c’était bien de l’eau liquide qui avait créé ces formations. Les alternatives à l’hypothèse de l’eau sont-elles désormais entièrement abandonnées ?

Oui aujourd’hui, on est convaincu qu’il s’agit d’eau. En témoignent les minéraux hydratés (argiles, sulfates) formés à son passage. Ce qui reste débattu, c’est le climat passé de Mars : faut-il obligatoirement une atmosphère plus épaisse et des températures de surface plus élevées pour former ces vallées ? Ou est-il possible qu’elles aient été façonnées lors de la fonte ponctuelle de glaciers, sous un climat plus froid et sec, similaire aux conditions qui règnent actuellement sur Mars ?

CC : Ces dernières années il y a eu plusieurs annonces contradictoires concernant la détection ou non de méthane dans l’atmosphère de Mars. Le méthane pouvant (éventuellement) être un indicateur d’activité biologique, cela a été assez médiatisé. Où en est-on aujourd’hui ?

On tâtonne toujours. Si les instruments du robot Curiosity sur Mars sont formels quant à la présence de méthane dégagé ponctuellement au fond du cratère Gale, les satellites spécialisés en orbite peinent à le détecter. Le problème est que le méthane est rapidement détruit dans l’atmosphère très oxydante de Mars, sa présence est donc signe qu’il vient d’être produit, ou dégazé (de poches de gaz stockées en profondeur), à la suite d’une activité volcanique ou biologique. Il nous faut donc un peu mieux connaître et comprendre le cycle du méthane sur Mars en accumulant les observations sur plusieurs années, ce qui est la mission de l’orbiteur ExoMars Trace Gas Orbiter.

CC : Un article paru récemment dans la revue Nature, avec une contribution importante de chercheurs français, semble indiquer qu’il y a eu, sur de longues périodes, un climat cyclique organisé en saisons sèches et humides sur Mars. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette découverte et ses conséquences ?

L’article repose sur l’observation par le robot Curiosity de motifs hexagonaux dans des couches sédimentaires datées de 3,8 à 3,6 milliards d’années, ce qui suggère des assèchements saisonniers. Cela n’est pas si surprenant, puisque, encore aujourd’hui, on observe des variations saisonnières, avec les calottes polaires qui s’épaississent en hiver, et se vaporisent au printemps. On a aussi découvert récemment, grâce à la caméra orbitale de la NASA HiRISE, des écoulements d’eau liquide actuels (que l’on suppose plus ou moins salés), sur les flancs des cratères et canyons équatoriaux. Ces écoulements, trahis par des traînées sombres qui s’allongent, durent quelques heures par jour pendant les journées les plus chaudes de l’été. Dans l’exemple que vous mentionnez, la découverte marque car elle est faite depuis le sol, et s’ajoute à la détection de molécules organiques simples, démontrant que les conditions étaient réunies à cet endroit pour l’apparition de composés organiques complexes, voire de formes de vie.

« En quelque sorte, les agences spatiales testent des technologies de manière avant-gardiste, technologies que l’on retrouve souvent sur Terre quelque temps plus tard. »


CC : L’exploration américaine de Mars, importante depuis un quart de siècle, ne risque-t-elle pas de marquer le pas d’ici à la décennie 2030, entre les contraintes budgétaires, et le fait que peu semble prévu après la future mission de retour d’échantillons ?

Le retour d’échantillons est une grosse étape, fondamentale avant d’envisager des missions plus ambitieuses comme l’envoi d’un équipage humain vers Mars. Ce dernier est aussi victime de la situation géopolitique en Europe, puisque l’Europe, qui devait fournir le robot pour récupérer les échantillons de Persévérance (en plus de l’orbiteur), a revu sa contribution à la baisse pour se concentrer sur le report de Rosalind Franklin. La NASA se concentre donc logiquement sur les alternatives possibles pour rapporte les échantillons martiens, mais aussi les stocker et les analyser en toute sécurité sur Terre. En attendant, elle réfléchit à d’autres façons d’explorer Mars, avec des drones par exemple, et on pourra compter dans les années 2030 sur d’autres puissances spatiales pour assurer la continuité de l’exploration martienne. Car il en reste des mystères à résoudre et des sites à visiter !

CC : Que peut-on attendre des autres puissances spatiales, telles la Chine, ou l’Inde qui vient de poser avec succès un véhicule automobile sur la Lune ?

L’Inde a réussi à envoyer un orbiteur autour de Mars en 2013 (Mars Orbiter Mission), alors que la Chine a réussi un triplé gagnant (orbiteur, atterrisseur et rover) avec Tianwen-1 lancé en 2020. Il y a fort à parier qu’après le succès de l’astromobile Chandrayaan-3, l’Inde tentera sa chance à la surface de Mars prochainement, alors que la Chine, qui augmente toujours la difficulté graduellement entre deux missions, prévoit déjà un retour d’échantillons martiens début 2030, avec Tianwen-3 : peut-être même avant les Américains ?

CC : Pouvez-vous nous parler des apports de la mission chinoise Zhurong sur Mars ?

Posé en juin 2021 dans les plaines d’Elysium Planitia, Zhurong est le premier rover chinois à fouler la surface de Mars. Zhurong reprend le design de ses cousins lunaires Chang’e-3 et 4, avec une masse de 240 kilos comprenant six instruments scientifiques. Dépourvu de bras, il a surtout étudié les roches à distance, avec ses caméras et spectromètres. Il a entre autres montré que l’eau a encore circulé durant l’Amazonien (soit il y a moins de 3 milliards d’années) dans la région, formant des sols indurés. Conçu pour durer initialement quatre-vingt-dix jours, Zhurong a joué les prolongations pendant presque un an, avant d’entrer en hibernation. On suppose que ses panneaux solaires sont recouverts de poussière, ce qui l’empêche de se recharger, et il n’a plus donné signe de vie depuis mai 2022, même si la CNSA (Agence spatiale chinoise) n’a pas encore officiellement déclaré la mission comme étant terminée.

CC : Que répondez-vous aux personnes qui affirment que l’exploration spatiale coûte trop cher ?

On entend souvent ce raccourci qui laisse croire que les milliards dépensés pour l’exploration n’auraient aucune autre utilité. Si ces chiffres paraissent vertigineux, ils cachent en réalité des dépenses effectuées sur des années, voire des dizaines d’années, avec de nombreux emplois à la clé. Entre les ingénieurs, chercheurs, techniciens et administratifs des agences spatiales et tous les sous-traitants, le secteur spatial représente un pan important de l’activité économique.
Par ailleurs, les recherches de pointe menées dans le domaine ont des applications directes dans la vie quotidienne. En quelque sorte, les agences spatiales testent des technologies de manière avant-gardiste, technologies que l’on retrouve souvent sur Terre quelque temps plus tard. Pour n’en citer que quelques exemples, les couvertures de survie, les purificateurs d’eau, les casques sans fil, les smartphones ou encore les couches culotte, tous ces objets sont issus de technologies développées lors des programmes d’exploration spatiale.

CC : L’imaginaire pour la conquête spatiale, la Lune et Mars, se réactive dernièrement par des annonces de la NASA, de la CNSA, de l’ESA (agence spatiale européenne), d’Elon Musk mais aussi par des œuvres grand public comme le film Seul sur Mars ou la série For All Mankind (Pour toute l'humanité). Est-ce que l’espace doit être un rêve ou bien est-ce qu’au nom des problèmes sur Terre comme le réchauffement climatique, ou la pauvreté, on devrait renoncer à cet imaginaire ?

La science et la science-fiction avancent en se nourrissant l’une et l’autre, en particulier pour les thèmes liés à l’exploration spatiale. L’espace, par son immensité, ses mystères, sera toujours une source d’inspiration importante pour les auteurs ou les scénaristes, et c’est tant mieux ! Les avancées scientifiques apportent de la matière première au fur et à mesure des découvertes et des images extraordinaires que rapportent nos télescopes spatiaux et les robots envoyés sur des planètes lointaines.
Les problèmes sur Terre ne doivent pas pour autant être négligés ou mis de côté. Il faut voir dans l’exploration spatiale l’opportunité de faire un pas de côté pour mieux comprendre et prendre soin de notre planète. Si elle est en danger à cause des activités humaines, l’exploration spatiale et l’imaginaire ont comme point commun d’amener à réfléchir à cette situation. N’oublions pas que, vu de l’espace, nous ne sommes qu’un « point bleu pâle », aux frontières invisibles.

CC : Pensez-vous que les ambitions de certains milliardaires, en particulier Elon Musk, se concrétiseront par des missions privées pour Mars avec pour objectif son exploitation et sa colonisation ?

Il y a quelques années, la réponse n’aurait sans doute pas été la même. Mais aujourd’hui, qui est capable de dire de quoi est capable Elon Musk ? SpaceX est devenu un partenaire privé incontournable, ne serait-ce que pour aller dans la station spatiale internationale, ce que l’on n’aurait jamais imaginé dix ans en arrière. De là à dire qu’Elon Musk sera capable d’envoyer une mission vers Mars, il y a un pas à franchir, mais qui sait ? Si les conditions techniques pour un aller simple sont plus faciles à réunir, vivre sur place implique des technologies qui ne sont pas encore abouties à ce jour : produire suffisamment d’eau et d’oxygène, se protéger des radiations… Ce n’est pas le tout d’y aller, encore faudrait-il y survivre !
Une chose est sûre, les motivations du milliardaire ne s’accordent pas avec les valeurs de la communauté scientifique. Exploiter et coloniser Mars, ce n’est pas ce que nous souhaitons pour cette planète qui a encore énormément à nous apprendre sur son histoire et sur celle de notre système solaire.

Jessica Flahaut est planétologue et chargée de recherche au CNRS.

Propos recueillis par Flavien Ronteix--Jacquet et Fabrice Ferlin.

Cause commune36 • novembre/décembre 2023