Par

Le bilan pour la culture du quinquennat de Hollande était déjà desastreux. Macron accélère la casse.

Monsieur Macron avait promis ! Au fait, il avait promis quoi le président concernant la culture et surtout qu’a-t-il fait depuis un an qu’il est aux manettes. Lui, l’intellectuel banquier de « gauche », c’est lui qui le dit, ou son gouvernement et bien sûr sa ministre de la Culture, madame Françoise Nyssen. Lui, le président « des chiffres et des lettres », comme le résume Régis Debray, lui le comédien qui sait prononcer des discours bien écrits, qui aime la littérature : Colette, Giono, Gide, Camus, Proust et Céline. Lui le nouvel élu qui marche devant la pyramide du Louvre avec de telles enjambées qu’à chaque fois on voit le blanc de la semelle de ses pompes. Sans doute pense-t-il que c’est là qu’il incarne le mieux le pays, ou cette monarchie présidentielle qui fait tant de mal à la Ve République.

Soumettre tout à la règle du marché
Pour ce qui est de sa position politique, toutes ses réformes vont dans le même sens : démailler les acquis progressistes accumulés par des décennies de luttes et de rapports de force depuis le Conseil national de la Résistance jusqu’à 1968 et même 1981. Soumettre tout à la règle du marché, endommager les services publics, les réduire par le processus éprouvé des filialisations, de libéralisation, matraquer les pauvres et les classes moyennes en diminuant les APL, en augmentant la CSG pour les retraités, en maintenant le blocus des salaires. Bref, une vraie politique de droite qui fait beaucoup de cadeaux aux riches, au patronat, et qui s’en prend aux syndicats, aux associations, aux collectivités territoriales en poursuivant l’absurde logique de l’austérité sanctifiée par Bruxelles. Si Macron vient de la mouvance socialiste, c’est bien de celle qui a fait le plus de mal au mot gauche comme Tony Blair en Grande-Bretagne, ou Gerhard Schröder en Allemagne. D’ailleurs, il n’est sans doute pas pour rien dans la politique qui a précédé et notamment la politique culturelle des gouvernements Hollande. J’écoutais sur France Culture l’émission « Du grain à moudre » d’Hervé Gardette à laquelle participaient Pierre-Yves Bournazel, député « Les Constructifs », Marie-José Malis, directrice du théâtre de La Commune d’Aubervilliers et présidente du Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC), et Emmanuel Wallon, professeur de sociologie à Nanterre. Le sujet était : la promesse d’Emmanuel Macron « de donner une nouvelle im­pul­sion à la politique culturelle a-t-elle fait long feu ? » Et, bien sûr, il fut question du plan de la ministre de la Culture incroyablement baptisé « Culture près de chez vous ».

« Le marché partout, tout pour le capital rien pour le travail et la création. »

Un budget en régression
Comme par hasard, l’animateur de l’émission a, au détour d’une phrase, signalé que le budget de la culture avait connu une amélioration lors du précédent quinquennat, ce qui est un grossier mensonge. Nous avions relevé dans un article paru dans L’Humanité du 27 février 2017 et signé de Jack Ralite, Meriem Derkaoui, maire d’Aubervilliers, et moi-même, que le bilan du quinquennat pour la culture était désastreux, « malgré une faible inflation, en euros constants, à périmètre identique, la baisse réelle du ministère de la Culture est de 2 % ». À quoi il faut ajouter une amputation de 11 milliards sur trois ans des dotations de l’État aux collectivités territoriales. Quand on sait précisément que ce sont ces collectivités territoriales qui contribuent à beaucoup plus de 50% au financement de la culture en investissement et en fonctionnement, on comprend que c’est un coup de massue terrible qu’ont dû supporter tous les arts, toute la culture, toute la vie associative. Autrement dit, l’augmentation du dernier budget du ministère de la Culture de madame Azoulay n’a même pas compensé la diminution des quatre années précédentes du quinquennat. Évidemment les conséquences ne se sont pas fait attendre : festivals supprimés, lieux artistiques fermés, et le tissu associatif en grande difficulté. Voilà le panorama culturel endommagé que le conseiller de l’Élysée des années Hollande, Emmanuel Macron, nous a légué. Il éclaire mieux que tout joli discours sur l’essoufflement du ministère de la Culture ou sur l’insuffisance de l’action culturelle dans les campagnes, en ciblant au passage les insuffisances de la décentralisation artistique, théâ­trale, culturelle. Ainsi sont désignés coupables les artistes nantis « des scènes à la logique sédentaire » !

« On peut craindre que les solutions avancées par la ministre soient encore pires que les maux dont elle hérite. »

Pour remédier à cette situation, on peut craindre que les solutions avancées par la ministre soient encore pires que les maux dont elle hérite. Circulez, voilà le nouveau mot d’ordre pour les artistes, les œuvres, qu’elles soient théâtrales, musicales, lyriques, muséales ! D’abord celles et ceux qui ont fait cette formidable décentralisation culturelle des arts, du théâtre, de la musique, du cinéma, depuis le festival d’Avignon des années 1950 pourraient vous dire, si beaucoup n’étaient pas six pieds sous terre, combien ils ont transformé ce territoire national en le couvrant de lieux, d’espaces scéniques adaptés, d’équipes artistiques bien implantées, après des décennies de luttes pour obtenir de vrais outils de travail avec les moyens financiers nécessaires. 0,43 % du budget de l’État pour la culture en 1968 lorsque les directeurs de la décentralisation théâtrale se réunissent à Villeurbanne. Il faut attendre la victoire de la gauche en 1981 pour voir les crédits culture multipliés par deux et s’approcher du 1 % du budget de l’État.

Mépris et ignorance pour les équipes de l’actuelle décentralisation
Alors s’il faut, comme vous dites, madame la ministre, pourvoir en équipements culturels « 86 bassins de vie où il y a moins d’un équipement culturel pour 100 000 habitants », ce diagnostic vous oblige... à mettre les pieds dans le plat ! Il vous faut obtenir de monsieur le président de la République et de son Premier ministre un urgent rattrapage budgétaire pour préserver ce qui est, et une significative avancée pour commencer à réaliser vos désirs. Quant à imaginer que la circulation des œuvres produites sur nos grandes scènes parisiennes, Comédie-Française et plus encore celles des Opéras de Paris, pourrait faire reculer la ségrégation sociale et territoriale dans les campagnes et les quartiers défavorisés, on se demande qui a pu vous conseiller de telles âneries. Le monde compétent des artistes, des techniciens du spectacle, sait ce que coûte le déplacement hors les murs de tels mastodontes. Passe encore pour la Comédie- Française. Encore que. Mais quelle ignorance, quel mépris, pour les équipes talentueuses de l’actuelle décentralisation ! Quant à l’Opéra de Paris, c’est tout simplement impossible, sauf à considérer des sorties de spectacles au rabais qui réhabiliteraient ce mépris bien petit-bourgeois de la capitale pour la province. Franchement, toute cette agitation ministérielle sans un rond est bien lamentable, car elle n’accouchera de rien de bon pour la politique culturelle. Et puis, derrière les beaux discours, on réentend la petite musique du mécénat, qui, selon Stéphane Bern, sauvera un patrimoine que l’on voudrait bien vendre au plus tôt. Et que dire de cette illusion de la circulation des théâtres privés parisiens pour accroître le droit au divertissement qui devient la grande religion de l’abêtissement contemporain. Bref, il n’y a pas que la SNCF que l’on veut privatiser ; après EDF, Gaz de France, La Poste, Macron a pour la culture la même crampe mentale que pour le reste. Le marché partout, tout pour le capital rien pour le travail et la création.

« Des initiatives réjouissantes proposent d’autres choix, libérés de cette idéologie du privé, du commerce, de la rentabilité qui défigurent la culture. »

La riposte s’organise
En riposte, les artistes, les techniciens, les directeurs d’établissement culturel ont lancé leur pavé 2018, comme en témoigne la déclaration du Syndeac publiée dans Le Monde du 24 avril. Des appels, fidèles héritiers des états généraux de Jack Ralite, mobilisent organisations syndicales, élus à la culture, intellectuels. Ces initiatives sont réjouissantes. Elles proposent d’autres choix, libérés de cette idéologie du privé, du commerce, de la rentabilité qui défigurent la culture. Elles défendent « l’exception culturelle » à laquelle le député « Constructif » ne comprend visiblement rien. Et le fait qu’il soit vice-président de la commission des Affaires culturelle à l’Assemblée nationale ne rassure vraiment pas.  n

Lucien Marest a été maire adjoint à la Culture à Aubervilliers de 1989 à 2008.

Cause commune n° 6 - juillet/août 2018