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Les acteurs de la vie culturelle n’ont pas toujours vécu une période de la même façon que les dirigeants politiques, alors même qu’ils ont partagé les mêmes valeurs.

J’ai 75 ans, je suis née en Italie, toute ma famille était engagée au Parti communiste italien. Je suis arrivée en France à 2 ans en 1946 et j’ai presque toujours vécu à Villeurbanne ou à Lyon. Je n’ai formellement adhéré au PCF qu’en 2014, mais j’ai toujours partagé ses idées. À 7 ans, je suis devenue « petit rat » de l’Opéra de Lyon, j’ai continué dans la danse, puis dans le théâtre. Quand j’étais petite, j’habitais le Tonkin, un quartier totalement déshérité de Villeurbanne, avec ses cabanes, son marché aux puces. Les communistes y étaient très actifs, y compris dans les associations, ainsi j’ai dansé pour la Commune libre Charpennes-Tonkin.
Quand j’ai commencé à comprendre le sens des engagements politiques, vers 1960, quand j’entendais parler les adultes, les militants étaient surtout engagés dans la défense de l’école laïque. Je ne pense pas qu’on parlait tellement de culture dans les réunions de cellule et de section du PCF, on y était plutôt préoccupé par des initiatives pour joindre les deux bouts, mais de nombreux communistes, enseignants ou non, participaient à des activités culturelles à titre personnel ou associatif, dans les quartiers et dans les entreprises. Il faut dire qu’à l’époque, dans les milieux populaires, on ne sortait pas, sauf de temps en temps pour aller au cinéma. Le théâtre, le concert, la danse, c’était un milieu à part : la « culture » et le « socioculturel » étaient deux mondes largement différents.
Dans les années 1950 et 1960, il était presque impensable d’être artiste sans être de gauche, et la gauche c’était le PCF, nous étions sympathisants mais en général non adhérents. Nos références, Gérard Philipe, Daniel Sorano, Jean Vilar, nous entraînaient dans cette mouvance. Je ne me souviens pas du comité central d’Argenteuil de 1966. Dans la décennie 1960 montait un air de liberté et le fait pour le PCF de se prononcer pour la liberté de création a dû sembler faire simplement partie de l’air du temps.
Le statut d’intermittent du spectacle n’existait pas. Il fallait vivre, alors j’ai fait des études de secrétariat, puis, de 1970 à 1975, j’ai travaillé pour l’Express Rhône-Alpes, ce périodique régional créé par Jean-Jacques Servan-Schreiber. À la rédaction, on connaissait mes opinions, j’étais souvent seule de ce bord mais on me laissait faire. En 1975, Servan-Schreiber a vendu le journal et tout le monde a été licencié. Ensuite, j’ai travaillé pour la Fondation nationale de la photographie, dirigée d’abord par Pierre de Fenouil, secrétaire d’Henri Cartier-Bresson, puis j’en suis devenue directrice de 1983 à 1993, date de sa fermeture.
C’est seulement en 1982 que je suis devenue française. Je n’étais toujours pas membre du PCF, mais on m’y faisait confiance, tant André Gerin (qui m’a chargé de mission pour accompagner la création de la médiathèque Lucie-Aubrac à Vénissieux), que Pierre Granec qui m’a fait élire en 2001 à la mairie de Villeurbanne (dirigée par le maire socialiste Jean-Paul Bret) où on m’a confié la délégation de la mémoire et du patrimoine. Je faisais partie du groupe « communistes et apparentés » et on m’a donné entière liberté pour organiser des activités culturelles dans le sens de l’émancipation.
Pour conclure, n’ayant jamais été une théoricienne de la culture, je ne me suis pas toujours intéressée explicitement aux grands débats que le PCF a eus sur la question, mais je me suis toujours sentie à l’aise sur le terrain dans les relations avec le parti, d’abord en tant que sympathisante puis comme adhérente.

*Sonia Bove est danseuse, comédienne, administratrice et élue.

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020