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Pour s’affranchir des valeurs dominantes, reconstruire une hégémonie culturelle et inventer une alternative désirable, il faut faire de l’art et de la culture un enjeu primordial.

La crise actuelle est à la fois économique, sociale, écologique, démocratique mais elle est aussi culturelle. Parce qu’elle fabrique l’aliénation des classes populaires comme leur marginalisation politique, sous-estimer cette dimension est pour beaucoup dans les difficultés que nous rencontrons pour transformer la colère sociale en force politique émancipatrice. Si l’art est invention et anticipation, il ouvre de nouveaux chemins à la liberté. De même, pour que la culture devienne le grand récit émancipateur d’une époque, il nous faut la mettre au service de l’humain et de la planète.

« Nous devons affronter cette domination idéologique qui vise à fabriquer du consensus en s’emparant des imaginaires.»

Or une forme de totalitarisme globalisé et financiarisé est en passe d’imposer son hégémonie culturelle. Nous devons affronter cette domination idéologique qui vise à fabriquer du consensus en s’emparant des imaginaires. Des œuvres, des langages, des revues, des lieux, des festivals, des artistes disparaissent, tandis que de grands groupes globalisés font main basse sur la production artistique, sur les média et sur la révolution numérique. Ils fabriquent et diffusent massivement des « produits culturels » standardisés et uniformisés. Prises au piège de l’austérité et minées par les critères libéraux, les institutions culturelles publiques voient leurs fonctions créatrice, critique et citoyenne menacées. Parallèlement, un immense processus de dépossession culturelle frappe la jeune génération des classes populaires, qui subit misère sociale et psychique, échec scolaire et précarité professionnelle, assignation identitaire, raciste et discriminatoire.

Affronter la domination idéologique actuelle
La dégradation des institutions et des politiques culturelles publiques est d’autant plus dangereuse que néolibéralisme et néopopulisme avancent du même pas obscurantiste. Le populisme culturel apparaît désormais comme l’arme politique et morale d’un projet de société, dont se saisit un capitalisme en butte à la défiance populaire, pour s’emparer du champ symbolique et y imposer sa domination. Nous voyons grandir l’idéologie de ceux qui prétendent parler au nom du peuple tout en lui refusant le droit de se construire lui-même en acteur politique. En fait, néolibéralisme et néopopulisme convergent vers une même conception de l’art et de la culture dominée par trois ordres : l’ordre de la marchandise, qui impose l’idée d’un individu prétendument libre de choisir dans une « offre de produits » fabriqués à la sauce de l’audimat et du « moins-disant » culturel ; l’ordre du divertissement, à prendre au sens propre de l’entertainment anglo-saxon, entendu comme un dérivatif décrété « populaire », déconnecté de toute exigence artistique et de toute pensée critique ; l’ordre du repli identitaire et de la haine de l’autre, ethnocentrique et assimilationniste, qui s’emploie à priver chacun de son bagage culturel forcément métissé et à le forcer à s’intégrer à un modèle nationaliste totalement fantasmé par des idéologies réactionnaires de circonstance.

« Pour que la culture devienne le grand récit émancipateur d’une époque, il nous faut la mettre au service de l’humain et de la planète. »

Une convention pour l’art, la culture et l’éducation populaire
Il nous faut donc, de toute urgence, penser un nouveau projet pour l’art, la culture et l’éducation populaire. La grande histoire du travail du PCF avec les artistes, les acteurs culturels et les intellectuels, le rôle essentiel que les communistes ont joué en faveur de la liberté de création, de même que notre ambition émancipatrice plus que jamais vivante nous enjoignent de contribuer à une refondation des politiques culturelles publiques. Nous prenons l’initiative de réunir une convention, parce que nous partageons le sentiment de beaucoup d’artistes et d’intellectuels, d’acteurs sociaux et culturels que le temps est venu de reposer avec force la question culturelle comme un enjeu majeur de la reconstruction d’un projet de société émancipateur porté par une gauche de rupture et d’alternative à l’ordre établi. C’est pourquoi nous voulons le faire avec l’ensemble des composantes du monde artistique, culturel et associatif, politique, syndical et citoyen. C’est le sens même de la tenue d’une convention pour l’art, la culture et l’éducation populaire.
Son ambition est de jeter les bases de la refondation du service public de l’art, de la culture et de l’éducation populaire associant l’État et les collectivités autour de trois chantiers essentiels.

« Le rôle essentiel que les communistes ont joué en faveur de la liberté de création, de même que notre ambition émancipatrice plus que jamais vivante nous enjoignent de contribuer à une refondation des politiques culturelles publiques. »

Le chantier de la création
Comment redonner un souffle libérateur aux artistes et à la création artistique contre tous les interdits moraux, esthétiques, idéologiques et politiques et contre toutes les contraintes imposées par le marché et la loi du profit ? Comment redéfinir les missions artistiques et citoyennes des établissements publics de création et de diffusion ? Comment créer les conditions sociales, institutionnelles et financières d’exercice de la liberté de création et du travail artistique contemporain pour tous les artistes, toutes les disciplines artistiques, de l’élaboration à la création, de la confrontation publique à la diffusion, de la transmission à la recherche ? Comment déprécariser les artistes et les acteurs du monde culturel par la conquête d’une véritable sécurisation des parcours de formation et de professionnalisation ?

Le chantier de la démocratie culturelle
Comment établir un lien étroit et permanent entre création artistique et éducation, à l’école au cœur du projet éducatif, au travail au cœur du procès de production, dans la cité en donnant un nouvel essor à l’éducation populaire ? Comment cette socialisation de l’art et la confrontation sociale et citoyenne peuvent induire et permettre la lecture critique du monde et l’invention des possibles, tant de la part des artistes que des publics ?

Le chantier de la mondialité culturelle
Comment construire ici et maintenant du commun à partir du pluriel qui caractérise notre peuple ? Comment organiser la rencontre des imaginaires, ici et dans le monde ? Comment penser les leviers pour inventer une nouvelle mondialité culturelle, débarrassée des dominations sociales, raciales et ethniques, sexuelles et politiques afin de nous affranchir du poids obsédant des violences identitaires et des haines qui secouent ce vieux monde, hâtant ainsi l’émergence d’un monde du commun, fait de partage et de solidarité, d’égalité et de liberté ?

« Reposer avec force la question culturelle comme un enjeu majeur de la reconstruction d’un projet de société émancipateur, porté par une gauche de rupture et d’alternative à l’ordre établi. »

Un nouveau service public
Un nouveau service public doit voir le jour pour mettre en œuvre ces chantiers grâce à une loi-cadre pluriannuelle d’orientation et de programmation préparée par la tenue d’états généraux de la culture, nationaux et décentralisés, réunissant les acteurs du monde de l’art, de la culture et de l’éducation populaire ainsi que les forces vives du pays, sociales, citoyennes et territoriales, intellectuelles et politiques. Ce service public devra s’appuyer sur une compétence partagée entre l’État, un ministère de la Culture à qui il faudrait accorder une vocation transversale et les collectivités qu’il faut doter de moyens garantis par la loi pour assumer des responsabilités déjà essentielles dans tous les territoires. Il devra enfin disposer de budgets publics conséquents permettant de rattraper les reculs accumulés au fil des derniers quinquennats et d’envisager l’avenir avec une grande ambition politique et culturelle.

Construire nos propositions collectivement
Avec la tenue de cette convention les communistes veulent contribuer au nécessaire retour en force de la culture afin d’affronter les vents mauvais et renouer les liens entre le réel et l’utopie. La dimension politique de nos travaux doit aller de pair avec une démarche d’échange, de confrontation et de construction collective à partir de nos diversités. Elle sera le gage de la réussite de notre initiative pour refonder l’art, la culture et l’éducation comme un bien commun, au cœur de notre projet politique de transformation sociale et d’émancipation humaine. Des tables rondes, des auditions, des débats, des contributions à un site Internet vont jalonner, dans toute la France, la préparation de notre convention nationale. Chacune et chacun d’entre vous sera sollicité pour y prendre toute sa place.

Alain Hayot est membre du comité exécutif national du PCF, délégué national à la Culture.

Cause commune n° 6 - juillet/août 2018