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La diversité des organisations politiques de la gauche européenne reflète la diversité des traditions et références politiques, du contexte politique, social et idéologique et des objectifs que ces organisations s’assignent.

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On peut grossièrement discerner trois types d’organisations : celles qui sont issues d’une tradition politique ancien­ne et qui n’ont pas fondamentalement changé leur mode d’organisation, les partis créés au tournant des années 1990 qui ont cherché à transcender différents courants politiques et à maintenir en leur sein une certaine diversité politique, et les organisations d’un type nouveau apparues au tournant des années 2000 et 2010, dont l’exemple le plus commenté est Podemos.

« Il n’existe pas de pur “mouvement” sur la durée, mais différents types de partis politiques qui peuvent évoluer. »

Le « centralisme démocratique » et ses avatars
Le maintien d’un type d’organisation fondé sur le « centralisme démocratique » n’est pas nécessairement une entrave pour le maintien, voire le renforcement de l’influence du parti. Prenons trois exemples, très divers dans leur origine idéologique : le Parti communiste portugais (PCP), le Parti du travail belge (PTB) et le Sinn Féin. Ces trois organisations ont plusieurs points communs. Ils appartiennent à, ou proviennent d’un courant idéologique ancien : le communisme pour le PCP, le maoïsme pour le PTB et le républicanisme irlandais pour le Sinn Féin. Le PCP et le Sinn Féin revendiquent leurs origines idéologiques. Le PCP, fondé en 1921, affirme toujours, dans ses statuts révisés en 2012 lors de son XIXe congrès, être « l’avant-garde de la classe ouvrière et de tous les travailleurs ». Le Sinn Féin, qui a connu plusieurs ruptures, scissions et refondations depuis le premier Sinn Féin créé en 1907, plonge ses racines dans l’héritage de l’insurrection de Pâques 1916, et porte comme ambition inchangée la réunification de l’Irlande sous forme d’une république sociale. Lors de sa conférence de 2017, il a même rétabli une période de stage pour les nouveaux adhérents et réaffirmé le fait qu’un militant républicain était soumis à une « éthique républicaine » dans son comportement quotidien. Le PCP et le Sinn Féin ont en commun une histoire de luttes et de répression. Le PCP et le PTB partagent l’héritage assumé de la bolchevisation des organisations communistes de la fin des années 1920. Le PTB assume une modernisation de son discours, mais pas une rupture ni dans ses références, ni, pour l’instant, dans son mode d’organisation. Lors de son VIIIe congrès tenu en 2008, le PTB récuse l’image « d’un parti traditionnel ». Ceci étant, il renoue avec la métaphore du « poing » formant un ensemble cohérent pour illustrer le rôle du parti et réaffirme le principe d’un centralisme démocratique : « La force du parti n’est pas seulement constituée par une unité idéologique, mais aussi par la force collective de tous ses membres […]. Le principe d’organisation de base est le centralisme démocratique […]. Les décisions des organes de direction et des responsables sont contraignantes pour la totalité de l’organisation. Une fois qu’une chose a été décidée, nous nous y mettons tous ensemble. Cette discipline est nécessaire [… ] » (« Un parti de principes, un parti souple, un parti de travailleurs », VIIIe congrès du PTB).

Les organisations nées dans les années 1990 : nouvelle période, nouveau programme, nouveau parti 
Après la chute du Mur, certaines organisations ont cherché à dépasser les courants issus de l’histoire de la gauche du XXe siècle. C’est, par exemple, le cas au Danemark, avec la « Liste unie », connue à l’étranger sous le nom d’« Alliance rouge-verte », et, au Portugal, avec le « Bloc de gauche ». L’Alliance rouge-verte est initialement constituée, en 1989, par le Parti communiste danois, les Socialistes de gauche (lointainement issus d’une scission du PC danois après les événements de 1956) et le Parti socialiste des travailleurs, section danoise de la IVe Internationale. Le Bloc de gauche est créé en 1999, du rapprochement entre l’Union démocratique populaire, maoïste, le Parti socialiste révolutionnaire, section portugaise de la IVe Internationale, et Politica XXI, mouvement issu de la lutte contre la dictature. Ces structures ont d’abord revêtu un aspect fédéral mais leur fonctionnement a évolué dans la pratique. Elles ont dû inventer une forme d’organisation permettant le pluralisme, avec le plus souvent une direction collégiale. L’Alliance rouge-verte est allée le plus loin dans cette voie avec un système de porte-parolat collectif. Le (ou la) porte-parole chargé de la politique générale n’est que le primus inter pares (premier parmi les pairs). Les anciennes organisations politiques se sont transformées en clubs, quand elles n’ont pas tout simplement disparu.

« Le type d’organisation est indissociable de la capacité d’une organisation, quelle que soit sa structure, à créer ou à participer à des majorités sociales et politiques. »

Du mouvement au parti : les contradictions de Podemos
Podemos procède du contexte d’un pays et d’une période donnés : l’Espagne des années 2011-2013, avec l’irruption du mouvement des Indignés, qui se greffa sur la tradition municipaliste propre à l’Espagne, voire sur les réminiscences du courant anarchosyndicaliste, autrefois très fort et qui n’a pas retrouvé d’expression politique propre avec la chute de la dictature. Ce mouvement des Indignés s’est coagulé avec le mouvement social : les « marées sociales », pour la défense des droits sociaux, ou encore le développement de la PAH (association contre les expulsions locatives et pour le droit au logement), dont la fondatrice, Ada Colau, est aujourd’hui maire de Barcelone. Podemos naît seulement ensuite, en 2014, et puise à trois sources : le mouvement des Indignés, mais aussi le parti Izquierda anticapitalista, ainsi que la chaîne de télévision Tuerka, animée par des universitaires. Podemos n’est donc pas l’expression politique du mouvement des Indignés mais une de ses émanations parmi d’autres. Son fonctionnement interne navigue entre démocratie participative et système plébiscitaire. Le fonctionnement en « cercles », issu des Indignés, a été contrebalancé par les « amis » virtuels, qui ont court-circuité les cercles et encouragé les dérives plébiscitaires de Pablo Iglesias. Podemos est donc traversé par une tension fondamentale entre différentes pratiques et langages politiques.
Il est intéressant de noter que, dans le bouillonnement politique de la gauche espagnole depuis 2011, d’autres mouvements sont nés, plus proches dans leur fonctionnement du mouvement des Indignés, comme celui d’Ada Colau, Barcelone en commun (Barcelona en comú), qui prend appui sur l’idée de « confluence », avec des militants des marées sociales, de la PAH, de Podemos et de la Gauche unie et alternative (Izquierda unida y alternativa), et qui s’est structuré autour du renforcement de la démocratie locale.
À l’exception d’initiatives locales comme celle que l’on vient d’évoquer, ce rapide tableau européen montre qu’il n’existe pas de pur « mouvement » sur la durée, mais différents types de partis politiques qui peuvent évoluer. Il existe une recherche du type d’organisation la mieux adaptée à un contexte et à des objectifs politiques donnés. Surtout, le type d’organisation est indissociable de la capacité d’une organisation, quelle que soit sa structure, à créer ou à participer à des majorités sociales et politiques. 

Vincent Boulet est représentant du PCF au comité exécutif du Parti de la gauche européenne.

Cause commune n° 4 - mars/avril 2018