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Les paradis fiscaux constituent un boulon essentiel de la machine financière. Ce sont ces lieux où l’argent est déversé, caché aux États et in fine à leurs citoyens. Selon les études, cela représente un manque à gagner de 80 milliards d’euros pour l’État français. Un argent qui devrait être imposé et servir à améliorer les transports publics dans un piteux état, financer nos écoles, et permettre à chacun d’accéder à des soins gratuits.

 

 

Pour contrer ce système, les députés communistes ont déposé une proposition de loi visant à établir une liste française des paradis fiscaux.
L’article premier propose une réforme volontariste de la liste française des paradis fiscaux, dits « États ou territoires non coopératifs » (ETNC) tels que définis à l’article 238-0 A du code général des impôts.

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Il est d’abord proposé une refonte puissante des critères définissant ces ETNC, afin de les rendre plus conformes à la réalité fiscale mondiale actuelle. Cette refonte prend en premier lieu appui sur les derniers travaux en matière d’échange d’informations et de lutte contre l’érosion des bases fiscales menés au niveau international, en particulier dans le cadre de l’OCDE.

« La démocratie doit être un outil puissant pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. »

Elle vise ensuite à cibler les pratiques fiscales les plus nocives à la coopération internationale, tels l’opacité, la création de structures juridiques visant à attirer artificiellement les bénéfices ainsi que l’ensemble des régimes fiscaux dommageables, dont les conséquences s’avèrent préjudiciables pour les autres États ou territoires. Le recours à des taux d’imposition faibles, voire nuls, symboles d’une concurrence fiscale déloyale et mortifère, ouvre une dangereuse brèche dans le financement de l’action publique et en matière de justice fiscale, au détriment des populations les plus fragiles, une faille qu’il convient de colmater.
Enfin, en vue d’en assurer l’efficacité, la proposition limite les exemptions géographiques qui, bien souvent, minent la portée des listes de paradis fiscaux. Pour autant, il convient d’accorder, au moment de l’élaboration de la liste des ETNC, un traitement particulier à certains États ou territoires, notamment ceux dits « les moins avancés », à revenus faibles, dès lors qu’ils ne sont pas reconnus comme des centres financiers ou comme ayant une activité financière importante.

Une COP de la finance mondiale
Bien souvent, en effet, les pays les moins avancés – catégorie d’États définie au niveau de l’Organisation des nations unies (ONU) – sont très éloignés des standards de transparence définis par l’OCDE, dont les membres disposent généralement de revenus bien plus importants. Il n’y a donc pas lieu de les intégrer à cette liste des ETNC. En revanche, au niveau international, l’ONU doit de toute urgence se saisir des problématiques posées par les dérives de la finance mondiale, la fraude et l’évasion fiscales afin de les appréhender dans leur globalité. À l’instar du combat mené contre le réchauffement climatique, la France pourrait être à l’initiative d’une grande conférence des parties (COP) de la finance mondiale, sous l’égide des Nations unies, comme le proposait la résolution européenne pour une conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales, adoptée par l’Assemblée nationale le 2 février 2017. Dans la lutte contre l’évasion fiscale, l’opacité est l’ennemie de l’efficacité. C’est pourquoi l’élaboration de cette liste, tout autant que sa mise à jour annuelle doivent être parfaitement transparentes, s’insérer avec récurrence dans le débat public, dans un esprit de dialogue entre le pouvoir exécutif et la représentation nationale, à la hauteur des dégâts que l’évitement fiscal fait peser sur l’ensemble des sociétés.

Une liste des ETNC sous le regard des citoyens
L’article premier propose ainsi de placer l’élaboration de la liste des ETNC sous le regard des parlementaires et donc des citoyens, protégeant ainsi cette nouvelle nomenclature nationale de la force diplomatique d’États ou territoires peu enclins à participer à la coopération fiscale internationale.
Reprenant les dispositions prévues à l’article 6 de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, l’élaboration de cette liste des ETNC ferait l’objet d’un débat chaque année devant les commissions permanentes, compétentes en matière de finances et d’affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat, en présence du ministre des Finances.
Malgré l’adoption de ces dispositions lors de la précédente législature, ces débats n’ont pas eu lieu. En vue d’en garantir la bonne tenue, cette proposition de loi prévoit que le gouvernement, dans un premier temps, remette au parlement un rapport sur l’application des nouveaux critères prévus par l’article 238-O A du code général des impôts, au plus tard un mois après la publication au cours du premier mois de l’année de l’arrêté dressant la liste des ETNC.

« Le recours à des taux d’imposition faibles, voire nuls, symboles d’une concurrence fiscale déloyale et mortifère, ouvre une dangereuse brèche dans le financement de l’action publique. »

Ce rapport pourra notamment détailler les motifs justifiant l’ajout ou le retrait d’un État ou d’un territoire de ladite liste. Il sera l’outil opportun pour mener une revue annuelle du dispositif ETNC, évaluer les engagements pris en matière de coopération fiscale au niveau international mais aussi les ajustements apportés au cadre fiscal de l’État ou du territoire.
Ensuite, dans un délai de deux mois à compter de la transmission de ce rapport, il est proposé d’organiser un débat obligatoire devant les commissions des finances et des affaires étrangères des deux chambres, en présence du ministre des Finances, sur la base dudit rapport.
Ainsi, la liste française des ETNC sera enfin ancrée dans le débat public, et ce au cours du premier trimestre de chaque année. Enfin, cette proposition de loi rend possible la tenue d’un débat en séance publique autour du rapport d’application. La démocratie doit être un outil puissant pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Cette proposition de loi entend répondre à cette exigence. Il est d’ailleurs urgent d’engager une réflexion profonde sur la notion de civisme fiscal qui doit irriguer l’ensemble des relations économiques, y compris les règles relatives à l’attribution des marchés publics.

« Il est urgent d’engager une réflexion profonde sur la notion de civisme fiscal qui doit irriguer l’ensemble des relations économiques, y compris les règles relatives à l’attribution des marchés publics. »

Les opérations réalisées avec des ETNC font l’objet de dispositions fiscales spécifiques destinées à en dissuader la réalisation. C’est ainsi que l’on retrouve la notion d’ETNC dans une trentaine de dispositifs préventifs et répressifs contre l’évasion fiscale en droit français, impliquant des incidences sur le régime fiscal applicable aux résidents de France effectuant des transactions avec ces États ou territoires ainsi que pour les résidents d’ETNC ou aux revenus transitant par de tels États ou territoires.

Le renforcement du volet coercitif
À l’heure actuelle, la portée de ces dispositifs est malheureusement à la hauteur de la liste des ETNC, c’est-à-dire faible. La refonte de cette liste doit ainsi permettre de consolider la force de frappe de ces dispositifs préventifs et répressifs. À terme, toutefois, il y aura lieu d’opérer une revue de l’ensemble de ces dispositifs en vue d’en évaluer l’efficacité en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
En filigrane se pose la question des sanctions à l’égard des agents économiques ayant recours aux paradis fiscaux et des mesures dites défensives prises à l’encontre de ces États ou territoires. Il y va de l’efficacité de ce nouveau dispositif. En mettant en œuvre des stratégies de contournement licites ou illicites pour leurs clients ou pour leur propre compte, des banques et des établissements financiers œuvrent en véritables chevilles ouvrières du système. Depuis plusieurs années, des associations, ONG et journalistes ont dévoilé le rôle primordial joué par les banques françaises en matière d’évitement fiscal. Il est temps de mettre un terme à ces agissements.

« En mettant en œuvre des stratégies de contournement licites ou illicites pour leurs clients ou pour leur propre compte, des banques et des établissements financiers œuvrent en véritables chevilles ouvrières du système. »

L’article 2 propose ainsi d’interdire aux établissements de crédit, dont le siège social se situe en France, d’exercer dans les ETNC. Le renforcement du volet coercitif de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales s’impose comme une évidence et sera d’une redoutable efficacité. D’autres pays ont montré la voie. C’est en mettant en place le FATCA que les États-Unis ont mis un terme au secret bancaire à l’œuvre en Suisse. Il n’est pas trop tard pour espérer : l’utopie de 2018 peut être la loi de 2019. Et le prétendu « bonheur » au « paradis fiscal » un peu moins facile qu’un simple clic sur un ordinateur. l

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Cause commune n° 4 - mars/avril 2018