Par

Le musée des Tissus de Lyon est la seule institution au monde à présenter plus de quatre mille ans d’une histoire universelle des textiles. Il a failli être fermé pour une opération immobilière. S’il est sauvé aujourd’hui, son avenir reste incertain et en partie à construire.

«Combien j’ai regretté que dans tes majestueuses salles de ton superbe Hôtel-de-Ville, on n’expose pas les chefs-d’œuvre, ou plutôt les prodiges étonnants que ton industrie a produits ! Pourquoi n’y voit-on pas un échantillon des magnifiques étoffes qui sont sorties de tes nombreuses manufactures, dans les divers âges écoulés depuis leur origine ? Là on lirait l’histoire des inventions des hommes utiles qui ont respiré dans ton sein [...] ». Ainsi s’exprimait déjà l’abbé Bertholon en 1784, dans la pièce qui a remporté le prix de l’Académie de Lyon sur les manufactures.
Après une première préfiguration dès 1864, le musée des Tissus a été inauguré sous sa forme actuelle au milieu du XXe siècle. Mais il ne s’agit pas seulement d’œuvres d’art, tombées du ciel, à admirer. Ce sont aussi les savoir-faire, la mémoire de ceux et celles qui les ont réalisées (les inventeurs, les dessinateurs, les canuts, etc.), leur travail, les conditions de ce travail, leurs luttes. Ce n’est pas une affaire purement lyonnaise, voire régionale (Auvergne-Rhône-Alpes est devenue la première région textile de France), c’est un moment capital de l’histoire sociale.

« Que les usagers se mêlent de la culture, que les citoyens aient leur mot à dire, qu’ils réinventent des pratiques muséales, n’est-ce pas cela que redoutent justement certains élus ? Et qu’en tant que communistes nous défendons ? »

Les révoltes des canuts (1831, 1834, 1848-49) sont les premières insurrections importantes des débuts de la grande industrie, et ont influencé bon nombre de théoriciens du mouvement social. La revendication apparue, « Vivre en travaillant ou mourir en combattant », exprime la prise de conscience nouvelle du droit de vivre dignement de son travail, pour les hommes comme pour les femmes. Ces journées ont permis les premières associations ouvrières et ont vu naître les embryons des futures organisations syndicales, faisant de Lyon, alors, la capitale du mouvement social.

Un musée « désuet et oublié » ?
La chambre de commerce, propriétaire, trop ponctionnée par l’État, a dit ne plus pouvoir continuer à financer seule le musée, et a annoncé son retrait pour 2016. En janvier 2017, Gérard Collomb, alors maire de Lyon, a qualifié ce musée de « désuet et oublié » pour justifier de lui tourner le dos. La fermeture définitive était programmée, avec éclatement des collections et vente des hôtels particuliers qui l’abritaient. Les successeurs de Collomb à la mairie et à la métropole ont refusé jusqu’au bout leur soutien financier, alors que tous les autres partenaires (CCI, Unitex, région, État) s’étaient engagés. Après divers rebondissements, Laurent Wauquiez, président de la région, a pu prendre la place et se présenter en sauveur et en défenseur de la culture !
En réalité, là comme ailleurs, c’est la logique capitaliste qu’a défendue Gérard Collomb : supprimer les « petits » (?) musées au profit de grandes institutions, comme le musée des Confluences, conçu comme une vitrine internationale de Lyon, ou le musée des Beaux-Arts. Comme on supprime les hôpitaux de proximité au profit de grands établissements hospitaliers. Et tant pis si les magnifiques collections se seraient retrouvées éparpillées (ou en caisses) dans deux ou trois lieux différents de l’agglomération lyonnaise, rompant la compréhension historique de l’ensemble.
Il y avait derrière cela une opération immobilière de vente des hôtels particuliers abritant le musée des Tissus et celui des Arts décoratifs qui lui est associé. En somme, un remake de celle de l’Hôtel-Dieu, passé récemment d’hôpital pour les pauvres à lieu de haut prestige et de luxe.

Une mobilisation de longue haleine
En réalité 80 000 personnes par an, dont de nombreux étrangers, visitent les musées des Tissus et des Arts décoratifs. L’indignation et la protestation ont été rapides : 134 785 personnes (provenant de près de 150 pays) ont signé la pétition lancée par le collectionneur Daniel Fruman pour sauver le musée. Récemment, une campagne de financement participatif lancée par la même personne a permis en quelques semaines de récolter 163 000 euros (destinés à des équipements audiovisuels interactifs).
Depuis 2015, un collectif d’associations au service du patrimoine lyonnais et régional, Canutopie, a organisé de nombreuses réunions publiques, prises de parole, tracts, courriers et manifestations (en particulier celle « des parapluies » le 1er avril 2017, en présence de 550 personnes devant le musée) que la presse a bien relayés. Dans le cadre de cette action, plusieurs élus, municipalités, et personnalités du monde culturel et médiatique ont apporté leur soutien, comme Bernard Pivot ou comme le sénateur Pierre Laurent dont l’intervention écrite demandait le maintien et la préservation des collections dans leur lieu actuel, rue de la Charité... Que les usagers se mêlent de la culture, que les citoyens aient leur mot à dire, qu’ils réinventent des pratiques muséales, n’est-ce pas cela que redoutent justement certains élus ? Et qu’en tant que communistes nous défendons ?
Laurent Wauquiez est donc invité à écouter les associations de défense du musée, les professionnels, et la voix des Lyonnais. Il ne faudrait pas faire de ce lieu une institution seulement prestigieuse, éblouissant un visiteur passif, sans lui donner les moyens de penser, de s’interroger sur le travail long et complexe qui a abouti à la beauté des objets présentés. D’autres structures analogues sont menacées, en particulier celles qui ne correspondent pas à une politique de prestige ou de divertissement, celles qui offrent un savoir plus technique : les collections de médecine et d’anatomie, les musées d’instruments scientifiques, ceux qui appellent à la réflexion. Vigilance ! Il y va de la démocratie culturelle, il faut permettre à tous et à toutes l’accès à tous les savoirs, dans les conditions les plus attractives et les plus enrichissantes.

Commission culture de la fédération PCF du Rhône.

Cause commune n° 6 - juillet/août 2018