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L’anticommunisme est aussi vieux que le communisme (Marx et Engels n’évoquent-ils pas déjà « le grief infamant de communisme » dès le début du Manifeste ?). Il se partage entre les familles politiques les plus variées, plutôt de droite mais aussi de gauche, plutôt extrême mais aussi plus modérée. Bien étudié dans le monde anglo-saxon, le phénomène l’est relativement peu en France. La naissance de l’anticommunisme d’État à la fin de la IIIe République en est un de ses moments clés.

Un titre barre la une de L’Humanité datée du 26 août 1939 : « Union de la nation française contre l’envahisseur hitlérien ». Le numéro ne parvient pas à ses lecteurs : le gouvernement l’a fait saisir la veille. C’est la première étape d’un anticommunisme d’État qui surgit en France comme politique structurée.

Années 1920, années répressives
Il ne naît évidemment pas d’un coup à la fin des années 1930. Dès ses débuts, le jeune Parti communiste est l’objet de la répression d’État, stimulée par sa ligne politique fluctuante et souvent intransigeante des années 1920 et du début des années 1930. Les emprisonnements de Marcel Cachin en 1923, d’André Marty en 1927, de Maurice Thorez en 1929 en sont la part la plus visible, mais nombre de militants sont aussi touchés, particulièrement lors de l’occupation de la Ruhr en 1923 et de la guerre du Rif en 1924-1925. Les préfets interdisent manifestations ou réunions et retirent des publications communistes des kiosques.
Le thème du complot et de la soumission à l’étranger est l’instrument idéologique principal de cet anticommunisme. Son expression la plus spectaculaire est le discours prononcé à Constantine par le ministre de l’intérieur radical Albert Sarraut, le 22 avril 1927, qu’il conclut par l’exorde célèbre : « Le communisme voilà l’ennemi ! ». Pour violente qu’elle soit parfois, cette répression reste néanmoins sporadique et dispersée. Elle se fonde sur des instruments juridiques qui n’ont pas été créés directement contre lui : l’application des lois antianarchistes de 1893-1894, l’extension de la provocation de militaires à la désobéissance et de l’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État.

Années 1930, une pause relative
L’hostilité des autorités politiques et administratives ne s’éteint pas dans la première moitié des années 1930, mais les manifestations répressives s’atténuent. L’adoption par le parti d’une nouvelle ligne politique à partir de 1934 pour promouvoir le rassemblement populaire y contribue, mais elle ne change pas fondamentalement la profonde méfiance des institutions étatiques à son égard, quel que soit le gouvernement.

« Le PCF, de plus en plus isolé après les accords de Munich (30 septembre 1938) fait l’objet d’une large campagne qui développe les ressorts principaux de l’anticommunisme : la soumission à l’étranger et la menace pour l’ordre public, auxquels s’ajoute la menace pour la paix. »

La victoire électorale du Front populaire, suivie de la vague des grèves et du déclenchement de la guerre en Espagne en 1936 réactivent une peur sociale qui confine parfois à la panique, notamment dans les couches sociales qui constituent le socle militant et électoral du Parti radical. Le thème du complot communiste visant à une prise insurrectionnelle du pouvoir constitue le terreau tant de la radicalisation des droites que de la droitisation d’un Parti radical qui cherche à maintenir ou à recouvrer ses positions.

1938 et première moitié de 1939 : l’exacerbation
Rapidement délité, le rassemblement de la gauche n’est presque plus qu’une ombre en 1938 quand le radical Édouard Daladier prend la tête du gouvernement en avril et engage immédiatement une politique infléchie à droite, inspirée à l’intérieur par la revanche sur les luttes sociales, à l’extérieur par un accommodement avec les États fascistes. Le PCF, de plus en plus isolé après les accords de Munich (29-30 septembre 1938), fait l’objet d’une large campagne qui développe les ressorts principaux de l’anticommunisme : la soumission à l’étranger et la menace pour l’ordre public, auxquels s’ajoute la menace pour la paix. Elle réclame vivement l’interdiction du parti et s’exacerbe après la répression brutale de la grève générale du 30 novembre 1938. Sans avoir vraiment jamais cessé, elle reprend avec force dès juillet 1939. Le pacte germano-soviétique conclu comme un coup de tonnerre le 23 août 1939 est donc du « pain bénit » pour les propagandistes de la dissolution.

Été 1939-printemps 1940 : une ligne politique assumée
Au lieu d’actions répressives menées au coup par coup, au moyen de simples extensions jurisprudentielles au gré des circonstances, ce qui se construit alors est une politique visant à faire disparaître entièrement le Parti communiste et éradiquer toutes ses formes d’activité, en se fondant sur un appareil juridique créé spécifiquement à cet effet. Une ligne politique gouvernementale déterminée, assumée et proclamée.

« Après la saisie des journaux, suivie déjà de plusieurs dizaines d’arrestations, une interdiction générale de toutes les organisations communistes est décrétée un mois après le 26 septembre 1939 et la chasse aux militants ouverte.  »

Après la saisie des journaux, suivie déjà de plusieurs dizaines d’arrestations, une interdiction générale de toutes les organisations communistes est décrétée un mois après, le 26 septembre 1939, et la chasse aux militants ouverte. Les députés restés fidèles au parti sont emprisonnés début octobre et un dispositif extrajudiciaire est organisé à la mi-novembre 1939 : l’internement administratif. Tous les élus sont déchus à partir de janvier 1940, tous les biens sont vendus ou dévolus à des organisations dirigées par des non-communistes.
Avec la guerre déclarée le 3 septembre 1939, l’anticommunisme permet à Daladier de réaliser un consensus dans l’opinion et au Parlement, en fustigeant la « trahison » des communistes dans un contexte bientôt marqué par une inaction militaire totale (« la drôle de guerre ») qui permet aux nazis de vaincre la Pologne sans être obligés de faire face à un double front. Successeur de Daladier en mars 1940, Paul Reynaud, un homme de la droite classique, surenchérit en faisant encourir la peine de mort aux activités communistes par un décret-loi porté par le ministre socialiste de la Justice Albert Sérol (9 avril 1940).
Étrange destin que ce décret Sérol : quelques poursuites sont engagées sur son fondement, mais l’invasion allemande à partir du 10 mai suivie de la défaite quelques semaines plus tard les empêchent d’aboutir. En aurait-il été autrement dans d’autres circonstances ? En tout état de cause, il n’est plus possible au régime de Vichy, mis en place le 10 juillet 1940 par le maréchal Philippe Pétain, d’exciper un tel décret fondé sur la prétendue trahison des communistes, les ennemis d’hier étant devenus amis des nouveaux dirigeants.
Pour le reste, c’est un ensemble solide de dispositions anticommunistes que Vichy trouve prêt à l’emploi. Il ne s’en privera pas, revendiquant la continuité sur ce sujet avec le régime précédent.

Louis Poulhès est historien. Il est docteur en histoire contemporaine de l’université de Bourgogne.

 



18 janvier 1923 : la Chambre des députés vote la levée de l’immunité parlementaire de Marcel Cachin
Le Bloc national (gouvernement de droite dirigé par Raymond Poincaré) se lance dans l’occupation de la Ruhr, suivant ainsi l’état d’esprit du Traité de Versailles et le slogan « L’Allemagne paiera ». Le Parti communiste français, en lien avec le Parti communiste allemand, organise, seul au début, le combat contre cette occupation.

14 mai 1925 : appel du comité central contre la guerre du Maroc
Le Maroc est partagé entre la France et l’Espagne par le traité de Fez signé en 1912. L’indépendance de fait du Rif, région montagneuse dirigée par Abd-el-Krim en 1924, n’est acceptée ni par le Bloc national ni par le Cartel des gauches (socialistes, radicaux), qui lui succède ; ce dernier lance des opérations militaires. Le PCF développe une action importante contre cette guerre en 1925. Pour l’historien Claude Liauzu, c’est la première grande campagne anticolonialiste de l’histoire de France.

1er août 1929 : grande journée de lutte contre la guerre décidée par l’Internationale
Brutales répressions décidées par André Tardieu, président du Conseil, et de Jean Chiappe, préfet de police de Paris, durant toute la période de préparation de cette journée. Arrestations de Maurice Thorez, Benoît Frachon, Gaston Monmousseau, Marcel Paul, etc. Il y aura malgré tout de grandes manifestations ce jour-là.

 


Édouard Daladier à la Chambre des députés, 30 novembre 1939 : « L’unité française malgré la trahison communiste »

Impuissante à convaincre le monde, l’Allemagne avait pensé qu’elle briserait notre résistance par nos divisions intérieures. Elle avait compté sur l’action d’un parti qui, hier encore, dénonçait en elle et dans son régime les ennemis mortels de la civilisation et qui, aujourd’hui, prêche la trahison devant l’ennemi. […] Dès septembre, alors que tous les Français se levaient pour défendre la patrie, alors que les communistes du rang rejoignaient leurs régiments et allaient faire front au danger, les chefs communistes ont brusquement changé de position et se sont mis à la disposition de l’Allemagne. Quand nous avions encore la paix, ils poussaient à la guerre. Quand nos enfants tombent sous les obus et les balles, ils rejoignent le camp de l’ennemi. Cette abominable trahison n’a pas porté les fruits que l’Allemagne en attendait. Elle s’est heurtée au clair bon sens du peuple de France. Nous les traquerons sans trêve ni merci. Nous les briserons par toutes les rigueurs de la loi, conscients d’accomplir ainsi un devoir sacré envers ceux qui combattent et qui souffrent. Les forces morales de la France sont intactes. Mais les complices de l’ennemi et les traîtres, d’où qu’ils viennent et quel que soit le masque qu’ils mettent sur leur visage, n’ont pas droit de cité parmi nous.

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020