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Il est toujours instructif de regarder comment les organisations dont nous sommes proches en Europe envisagent les questions stratégiques et tactiques, en prenant en compte, bien évidemment, l’importance du contexte national. De ce point de vue, le dernier congrès de l’Alliance rouge-verte (ARV) danoise qui s’est tenu en avril est particulièrement important.

Il est toujours instructif de regarder comment les organisations dont nous sommes proches en Europe envisagent les questions stratégiques et tactiques, en prenant en compte, bien évidemment, l’importance du contexte national. De ce point de vue, le dernier congrès de l’Alliance rouge-verte (ARV) danoise qui s’est tenu en avril est particulièrement important.
L’ARV se trouve dans une position charnière. Le retour d’une droite revancharde au pouvoir en 2015 met la gauche danoise au défi de reprendre le pouvoir lors des législatives qui se profilent en 2019. L’ARV peut être en position de décider des contours d’une éventuelle majorité de gauche, dans un contexte où l’espace social-démocrate est éclaté en trois organisations plus ou moins marquées à gauche.
Nous avons des débats avec l’ARV sur la question européenne. Mais cela ne résume pas les positions de cette organisation. La France insoumise essaie d’instrumentaliser l’ARV, alors que l’orientation politique intérieure de cette dernière est exactement le contraire de ce que fait la FI en France. L’ARV a en effet adopté une orientation politique que l’on peut résumer en trois points :
• Elle affirme fortement la nécessité de chasser la droite du gouvernement.
• Elle met en valeur son programme propre en adoptant un programme de gouvernement : « cent jours avec l’Alliance rouge-verte », qui sont une compilation financée et chiffrée de cent mesures dans des secteurs divers : droit du travail, égalité, santé, logement, reconversion écologique, solidarité internationale, école, culture…
• Elle instaure une politique de négociation avec les autres forces de la gauche danoise, intitulée « stratégie des lignes rouges ». L’approche est la suivante : l’Alliance fait une offre politique à l’ensemble de la gauche danoise, à condition de respecter des « lignes rouges » qui sont au nombre de deux : une politique progressiste pour les droits des travailleurs (salaires, conventions collectives, retraites) et rupture avec la politique de discrimination contre les migrants mise en place par le gouvernement de droite avec le soutien de l’extrême droite. Cette tactique reste encore à affiner selon la manière dont elle peut se décliner en une offre de pouvoir, c’est-à-dire la base politique sur laquelle l’ARV peut soutenir et éventuellement participer à un futur gouvernement de gauche. Ce n’est donc pas un catalogue sans fin et peu structuré mais des marqueurs politiques permettant d’ouvrir des brèches dans l’ordre dominant.
À la question « construction du parti » ou « rassemblement », l’ARV répond donc par l’articulation des deux en posant une autre question : comment l’ARV peut être utile pour la gauche et le peuple danois ? Cela implique d’affirmer la voix originale du parti dans un paysage politique instable, incertain et mouvant, en construisant un programme de gouvernement crédible de gauche qui avance des propositions pour rompre avec l’ordre existant. Et, en même temps, de dire comment il est possible et réalisable d’y parvenir : c’est-à-dire comment il est possible d’ouvrir des brèches en construisant des alliances sur la base d’une offre politique publique que tout le monde peut comprendre. Les deux éléments s’entretiennent mutuellement. Ce n’est donc ni un « rassemblement » sans contenu, ni du nombrilisme. Mais cela revient in fine à poser la question du front unique au sens historique du terme : une offre politique incluant des propositions clés marquant politiquement ce qu’est la gauche dans l’intérêt du plus grand nombre et capable de faire bouger les lignes entre la gauche et la droite, mais aussi dans la gauche elle-même, en construisant un rapport de force politique et en mettant l’organisation en mouvement, ce qui est la condition pour la construire. l

Vincent Boulet est représentant du PCF au comité exécutif du PGE.

Cause commune n° 6 - juillet/août 2018